Ce grand changement climatique, le plus important après les saisons, fut découvert au cours des années 20, par un scientifique britannique, Sir Gilbert Walker qui a établit une corrélation entre la pression barométrique aux stations météorologiques à l'ouest et à l'est du Pacifique. Il a remarqué un effet de balance: si la pression augmentait à l'est, elle diminuait à l'ouest et vice et versa.
Vers les années '60, un autre scientifique, Jacob Bjerknes, fut le premier à remarquer un lien entre les températures superficielles anormalement chaudes de l'océan, les alizés qui diminuent et les précipitations abondantes. Il a finalement reconnu que les eaux chaudes du El Niño et le jeu des pressions atmosphériques de Walker faisaient partie du même phénomène.
Cette interaction entre l'océan et l'atmosphère touche
particulièrement le climat en Australie, en Afrique, dans l'Asie
du Sud et dans les régions tropicales de l'Amérique.
Le centre et l'est de l'océan se réchauffent donc, chauffant
ainsi l'air humide qui le surplombe, créant de la convection et
formant des nuages et de la pluie. Résultat : cette zone de précipitations
et d'orages s'étend alors plus à l'est qu'habituellement.
Ces orages, fournissant à la haute atmosphère de l'humidité
et des vents, influencent le courant-jet. Ces forts vents en altitude,
qui entraînent les systèmes météorologiques,
sont déviés, modifiant ainsi la trajectoire des tempêtes.
L'atmosphère continue de s 'ajuster en provoquant une baisse barométrique
sur le centre et l'est du Pacifique, alors que sur l'Australie et l'Indonésie,
la pression augmente. Ces changements de pression jouent sur la force des
alizés qui continuent encore à faiblir et à se retirer
vers l'est.
Plus l'eau et le vent s'"obstinent" ainsi, plus le El Niño devient important. Il est alors très difficile de dire qui, du vent ou de la mer, a initié ce phénomène, ni qui le fera se renverser. C'est un jeu d'action-réaction. Les alizés redeviendront plus forts entraînant les eaux chaudes de surface vers l'ouest et les eaux froides des profondeurs remonteront le long de l'équateur vers l'est; c'est "La Nina" (la fille) ou "El Viejo" (le vieillard). Environ 18 mois sont nécessaires pour boucler le cycle. Mais, ce scénario faisant naître un El Niño est bien théorique, car tous ne sont pas similaires.
On aperçoit alors une tache d'eau chaude qui se déplace de
l'Australie/Indonésie vers le Pérou. Cette tache, située
entre 10N et 10S, peut s'étendre sur plus de 90 degrés de
longitude.
Même s'ils ne sont pas aussi faciles à comprendre que
l'océan Pacifique, les autres océans intéressent aussi
les scientifiques. L'océan Atlantique semble plus difficile à
appréhender; mais les chercheurs Sutton et Allen d'Oxford en sont
quand même venus à une version plus lente d'un El Niño
"atlantique", qui permettrait d'anticiper des données climatologiques
jusqu'à un an à l'avance. On a découvert, grâce
à une analyse des températures de l'Atlantique depuis la
Seconde Guerre mondiale, un cycle de 12 à 14 ans au cours duquel
un courant chaud naît sur les côtes des Carolines et remonte
vers le nord-ouest pendant six ans. Par la suite, un courant froid prend
le relais dans les Carolines et suit le même chemin pendant 6 autres
années, complétant ainsi le cycle.
L'impact du El Niño sur l'Amérique du nord dépend du moment où le phénomène est à son maximum, de l'ampleur du phénomène et aussi, un peu, de l'endroit où les températures océaniques sont anormales. Il ne faut pas simplement prévoir que le Pacifique se réchauffera, mais aussi à quel moment et quelle sera l'ampleur du réchauffement. Pour prévoir l'arrivée et la trajectoire exacte du El Niño, les prévisionnistes ont besoin de connaître jusqu'à quelle profondeur l'eau est anormalement chaude, la direction ainsi que la vitesse des courants sous-marins. Pour ce faire et depuis 1985, 70 bouées, distribuées dans le Pacifique le long de l'équateur, prennent constamment des lectures de l'océan et les satellites nous transmettent des des données.
Mais il ne faut pas trop attendre d'un tel type de prévisions,
car on ne peut malheureusement pas encore définir le type de précipitations.
Ce n'est qu'après le El Niño de cette année que l'on
saura si les modèles de prévisions sont efficaces.
Le Centre de prévisions climatologiques de NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) a émis un bulletin de prévisions pour les mois de janvier à mars 98.
Ailleurs dans le monde, on prévoit du temps plus humide en Amazonie,
alors que le nord du Brésil le sud de l'Afrique devraient être
relativement secs.
Il semble qu'au Mozambique, en Afrique du sud, la saison des récoltes fera face à une sécheresse importante, puisque le El Niño n'apportera que de faibles précipitations pour l'hiver.
À la mi-août, les habitants des Philippines, voyant
poindre à l'horizon une sécheresse importante, ont planifié
d'utiliser d'immenses feuilles de plastique pour "attraper" la pluie et
l'envoyer directement vers les fermes. Selon le plan de construction, environ
16 puits peu profonds, d'une largeur de ½ à 2 hectares, devraient
être creusés, puis recouverts avec des feuilles de plastique.
Les fermiers pourront ainsi pomper ou siphoner l'eau à partir du
puits jusqu'à leurs bâtiments.
Le bureau météorologique des Philippines constatait qu'entre
avril et juillet, la pluie avait été faible en raison du
nombre d'ouragans qui était anormalement bas.
On estime que 3,5 millions de personnes nécessiteront de la nourriture d'urgence au cours de l'année dans le centre et le sud de l'Éthiopie à cause de l'arrivée du El Niño.
Qu'arrivera-t-il exactement au cours des prochains mois? Seuls les vents et la mer le diront... Mais nous, on se tiendra aux aguets...!
On a réalisé sa venue quand les alizés se sont mis à diminuer, en mai 1982. Au lieu de souffler des Iles Galapagos jusqu'en Indonésie, ils changeaient de direction pour venir de l'ouest, et ce, aussitôt rendu à l'ouest de la ligne de changement de date. Il n'a fallu que quelques semaines pour que l'océan réagisse aux changements de vent. Près de l'Ile Christmas, dans le milieu du Pacifique, le niveau de la mer avait augmenté de plusieurs centimètres. En octobre, le niveau de l'eau était à près de 30 cm plus haut jusqu'à 9000 km à l'est, vers l'Équateur. Ceci a causé une baisse à l'ouest occasionnant des dommages aux récifs de corail de la région. La température de la surface de la mer près des Galapagos et le long de la côte de l'Équateur est passée d'environ 22C à 28C. La vie marine, puis ensuite la faune ont alors réagit: suite à la hausse du niveau d'eau à l'île Christmas, les oiseaux de mer ont abandonné leurs petits pour partir désespérément à la recherche de nourriture. Quand la situation est revenue à la normale vers le milieu de l'année 1983, le quart de la population des phoques et des lions de mer du Pérou, ainsi que tous les bébés étaient sans vie. Ce El Niño a aussi causé des dégâts terrestres. Dans le nord du Pérou et dans l'Equateur, plus de 2500 mm de pluie sont tombés pendant 6 mois transformant les déserts en champs d'herbes hautes pigmentés de lacs. La végétation a fait naître une immense colonie de sauterelles qui elles, ont attirés les crapauds et les oiseaux. Des poissons sont devenus prisonniers des lacs suite aux inondations, la population de crevettes a atteint des records, mais celle aussi des moustiques qui sèment la malaria. L'industrie de la pêche a souffert énormément de la migration des sardines vers le sud, dans les eaux chiliennes. Sur les régions plus occidentales, la trajectoire des typhons ayant été déviée, ils ont frappé des îles (Hawaii et Tahiti) inhabituées à leur visite. La mousson s'est abattue sur le centre du Pacifique au lieu d'à l'ouest, causant de la sécheresse et des feux de forêts en Indonésie et en Australie.
Les stations de ski du nord des Etats-Unis ont déploré l'hiver, car la neige manquait et le temps était doux. Le El Niño a empiré la sécheresse en Afrique, a causé d'importantes tempêtes hivernales en Californie et des inondations en Louisiane, Floride et Cuba. Les tempêtes de cet hiver-là, ont détruit 33 maisons situées sur les plages californiennes. En août 1983, de forts vents et des pluies abondantes dans le désert de l'Arizona ont inondé des maisons et transformé les rues en torrents.
Les neiges et pluies record en Californie ont causé des inondations et des glissements de terrains qui se sont chiffrés à environ 200 millions de dollars de dégâts. Aux États-Unis, le passage de ce courant chaud a coûté 2 milliards de dollars en dommages dûs aux tempêtes et aux innondations sur la côte Pacifique, dans les montagnes Rocheuses et dans les états du Golfe. Mais, par contre, il a permis d'économiser 500 millions de dollars en chauffage, puisque c'était l'hiver le plus chaud dans l'est depuis 25 ans. Par opposition, l'hiver 1976-1977 a été l'un des plus froids dans le midwest et l'est des États-Unis depuis un siècle. Cette année-là, la Californie avait été dans un état de sécheresse important.
À l'échelle mondiale, les pertes économiques dues au El Niño de 1982-83 sont estimés à plusieurs milliards de dollars et à plus d'un millier de morts.
Mais... il y en a eu beaucoup comme ça?!?
Plusieurs El Niño ont eu lieu depuis une cinquantaine d'années. Les plus populaires ont été ceux des années 1957-58, 1965, 1972-73, 1982-83, 1986-87, 1991-92. Comme on vient de le mentionner, celui de 82-83 a été le pire, alors que celui de 1986-87 fut assez doux. Celui de l'année 1991-92 semblait être dans la moyenne.
L'image plus bas évoque la corrélation entre les températures de surface de la mer dans l'est du Pacifique, la pression barométrique à Darwin en Australie et la quantité de pluie reçue à l'île Christmas. À noter: les années El Nino sont en jaune.
Le courant chaud apporté par un El Niño à l'est du Pacifique et les marées basses de l'ouest de cet océan peuvent causer d'immenses dommages aux récifs de corail tropicaux. Quand la température de l'eau est trop élevée, le coral expulse de ses tissus, une algue symbiotique (zooxanthellae) et devient blanc. Une fois blanc, le corail perd la nourriture que lui fournit normalement cette algue. Malgré le fait que les coraux récupèrent souvent leurs zooxanthellae et qu'ils survivent à ces événements "blanchissants", il se peut aussi qu'ils en meurent à cause du stress qui est trop sévère ou trop long.
Lors de l'intense El Niño de 1982-1983, 70 à 95% des coraux du Costa Rica, Panama, Colombie et des Iles Galapagos sont morts dans ces conditions. Le très bas niveau de la mer du Pacifique ouest a laissé les récifs de corail de Guam, Vanuatu, des Polynésies françaises et des iles Tokelau, exposés à l'air durant le jour. On a alors rapporté plusieurs coraux blancs et autant sont morts. Même les coraux des Caraïbes ont été blanchis par les El Niños qui sont survenus en 1987 et au début des années 1990.
Comme on le voit en gros plan plus bas, les coraux croissent à raison d'un anneau par année. Lorsque le récif est assez âgé, comme celui en début de ce paragraphe qui aurait une centaine d'années, on peut analyser chacun des anneaux de croissance et en évaluer la composition chimique qui révélera la température et le degré de salinité de la mer au moment où il a été formé. Les scientifiques peuvent alors se servir de ces informations, en addition à d'autres, pour prévoir le comportement d'un futur El Nino.
À l'époque, aucune prévision n'était possible concernant les El Niños. Mais maintenant que l'instrumentation est plus complète, des experts climatologues prédisent que le El Niño de cette année pourrait équivaloir à celui de 1972 (qui avait causé le blanchiement et la mort de plusieurs "shallow" récifs à Guam) ou celui de 1987. D'autres suggèrent que le El Niño 1997 sera aussi intense que celui de 1982-1983. Ce dernier a causé d'importants dommages aux récifs de l'est du Pacifique, blessures qui ne sont pas encore guéries.