POURQUOI NE SENT-ON PAS LA TERRE TOURNER?

Le nez dans sa barbe-à-papa, Fédor se demande pourquoi on ne sent pas tourner la Terre. Il lève les yeux vers la grande roue brillamment illuminée et aperçoit Cyrus qui lui fait des signes de la main.

Dès que le manège s'immobilise, le garçon se précipite à la rencontre du savant afin de lui poser la question qui le tarabuste: pourquoi ne sent-on pas la Terre tourner?

--À quelle vitesse crois-tu que tourne la Terre? lui demande Cyrus à son tour.

--Je n'en ai aucune idée, répond Fédor à présent alléché par l'odeur des gaufres.

--La Terre tourne à mille kilomètres à l'heure!

--Mais ça paraît impossible! s'écrie Fédor, qui se sent étourdi rien que d'y penser.

--Si tu ne la sens pas, c'est qu'autour de toi tout tourne à la même vitesse, même les molécules de l'air que tu respires.

--Arrêtez, Cyrus, supplie Fédor. Vous allez me faire vomir!

--Mais non, voyons. Tu connais la force de la gravitation?

--Euh... réfléchit le garçon. C'est ce qui fait que, lorsqu'on est assis dans quelque chose qui tourne très-très-très vite, on est comme collé à son siège? répond Fédor en mordant dans sa gaufre.

--Exactement. Sur la Terre, c'est la force de la gravitation qui nous retient au sol. Si nous n'en avons pas conscience, c'est parce que ce qui nous entoure, y compris l'air, tourne à la même vitesse: les maisons, les villes, les pays. C'est parce que cette vitesse est régulière que tu ne sens pas la Terre tourner. Galilée, d'ailleurs...

--Galilée... le grand Galilée? demande Fédor.

--Le grand Galilée avait proposé l'exemple suivant : des mouches et des papillons enfermés dans la cabine d'un bateau voguant à grande vitesse voleraient aussi normalement qu'en plein air.

--Les bateaux ne devaient pourtant pas aller très vite à l'époque de Galilée, remarque Fédor.

--C'est une image ! dit Cyrus. Pense à une mouche dans un avion volant à cinq cents kilomètres à l'heure. C'est la même chose. Le mouvement uniforme est comme nul, pour employer l'expression de Galilée.

--Ça me donne quand même le tournis, s'exclame le garçon, dont le museau est barbouillé de crème.

--Imagine un instant que tu puisses te suspendre dans le vide devant ta maison. Ou, mieux, que tu puisses t'isoler dans une bulle flottant dans l'espace. De ce point fixe, tu verrais alors ta maison passer à mille kilomètres à l'heure!

À cette idée, Fédor sent son cur chavirer. Il contemple avec dégoût ses doigts poisseux.

--Comment se fait-il que, même quand ça tourne aussi rapidement, je puisse tout de même faire des gestes? demande-t-il au savant.

--La Terre est très grosse et tourne très vite, répond ce dernier. Nous sommes tellement petits que nous sommes retenus au sol; cela ne nous empêche pas de fonctionner parce que l'air bouge à la même vitesse que nous. Tout tourne à la même vitesse! Cela devrait te rassurer, mon Fédor !

--Cela me rassure, Cyrus. Et je crois que j'ai bien compris, mais...

--Qu'est-ce qui se passe ? dit soudain Cyrus. Tu es tout pâle !

--La barbe-à-papa, la gaufre à la crème...

Fédor n'en peut plus. Il sent soudain sa tête tourner et il regrette alors amèrement sa gourmandise.